Malgré le contexte sécuritaire lié à la crise socio-politique dans la région du Nord-ouest, un voyage vers Bamenda reste un émerveillement où se mêlent angoisse, curiosité et excitation. Impressions griffonnées dans le carnet de voyage de notre reporter qui y a séjourné le week-end dernier.
De Bamenda, parviennent régulièrement les clichés, les rumeurs et la réalité du terrain, barbare, sanglante et tragique, colportés par les médias et les réseaux sociaux. Une image pas très éloignée de celle du Far-West avec son lot de violences et de règlements de comptes au quotidien. Lorsque vous apprenez donc que vous devez vous y rendre, pour une raison ou une autre, le premier réflexe n’est pas évidemment la joie. Vous avez beau avoir le sens du devoir, l’inquiétude vous prend d’abord à la gorge, vous noue ensuite les tripes et vous tétanise enfin. Et puis, vous vous dites: « d’autres y sont bien allés et sont revenus; pourquoi pas moi? » Ainsi motivé et convaincu par auto-persuasion, vous vous préparez psychologiquement et spirituellement à effectuer le voyage.
Partir de Yaoundé pour Bafoussam est devenu une partie de plaisir depuis que ce tronçon a été réhabilité. Les localités et les villes défilent à toute allure et voici déjà le carrefour Bamoungoum où la délégation doit se rassembler. Un rafraîchissement dans un bistrot de fortune sans avoir le cœur et le temps de se concentrer sur l’animation qui règne en permanence en ce lieu et il est temps de partir. Mbouda est rallié en quelques coups d’accélérateur. Le dispositif sécuritaire commence à se mettre en place: des pickups, des blindés légers remplis d’hommes en armes. En sens inverse également, beaucoup de camions ayant à leur bord des troupes. L’adrénaline monte un peu plus. Le cortège d’une dizaine de véhicules reprend son chemin.
À partir de Babadjou, la route en chantier fait quelque peu oublier les dangers périphériques. Un moment d’inattention peut vous coûter cher; entre des engins et des camions de travaux publics qui poursuivent leurs rotations et leurs tâches sous la poussière et la chaleur, la prudence et la vigilance sont de mise. Au fur et à mesure que vous avancez, l’état de la route se dégrade. Les poussières ocre et grise alternent sans cesse au gré des tronçons en chantier. Pas moyen d’admirer les beaux paysages de l’ouest en général et des Bamboutos en particulier. Sans aucun signe distinctif, nous voici à Matazem, la première localité du Nord-ouest. Un comité d’accueil plutôt bien garni, plein d’entrain et d’enthousiasme attend la délégation. Le secrétaire général descend, reçoit le bouquet de fleurs, salue les dignitaires du Parti et les chefs traditionnels présents. La cérémonie d’accueil dure une bonne quinzaine de minutes rythmées par le son entraînant des instruments de musique patrimoniale, les youyous et les chants des militants en tenue du parti et fiers de l’être. Il est un peu plus de 16 heures.
Sécurité renforcée
Le plus dur commence. La trentaine de kilomètres entre Matazem et Bamenda est un calvaire; un parcours du combattant. La sécurité s’est renforcée de manière ostensible. Malgré l’état de la route, le cortège roule plus vite et les véhicules sautent et tressautent sur les trous. Les passagers sont ballottés comme des fétus de paille et doivent s’agripper autant qu’ils peuvent pour ne pas se cogner à chaque secousse.
La visibilité est très mauvaise à cause des nuages de poussière mais les chauffeurs foncent et s’enfoncent dans ce brouillard ocre à toute vitesse. Lorsque les volutes de poussière se dissipent, on peut apercevoir des marchés animés, des pickups et des camions chargés de vivres frais. La vie continue tant bien que mal. Mais le répit est de courte durée. La réalité reprend ses droits. À chaque carrefour, sont postés des hommes en tenue. Certaines maisons sont hérissées de bacs de sable, preuves de combats pas si lointains que cela. Plus on se rapproche de Bamenda, plus la tension monte: au bord de la route, gît encore cet engin de travaux publics incendié par les séparatistes, symbole de leur folie furieuse. Entre des chantiers de construction qui sortent de terre et dont les travaux se poursuivent, on aperçoit une plaque d’une Ong, le Refac, en charge de la gestion des réfugiés et des déplacés. À 16h55, finis les cahots et les secousses. Un goudron en assez bon état souhaite une agréable bienvenue aux pneus des véhicules et aux corps des voyageurs meurtris par les secousses. Nous sommes à Up Station, le quartier administratif de Bamenda.
La vue plongeante sur la ville n’a pas perdu son charme. Le spectacle reste un régal pour les yeux. Des badauds tantôt indifférents ou à la mine indéchiffrable regardent passer le cortège qui s’immobilise quelques minutes plus tard à l’hôtel Ayaba. Une grande plaque vous accueille sur l’un des monticules des espaces verts: « Welcome to Bamenda 2022, the Turning Point ». Depuis 2016, Bamenda a effectivement connu un tournant majeur et l’hôtel Ayaba rappelle la zone verte de Bagdad, cet espace ultra sécurisé, un sanctuaire protégé où il faut désormais montrer patte blanche pour entrer. Plus tard, des notes de musique qui s’échappent d’un piano bar et des airs de chansons populaires venus de la ville emplissent la nuit fraîche. Malgré la tension et l’insécurité, la vie reprend peu à peu ses droits et Bamenda aspire à revivre, à respirer de nouveau à pleins poumons l’air de la liberté, de l’insouciance et de la fête.
Christophe MIEN ZOK